Guillaume Tell
Guillaume Tell

Héros légendaire de l'indépendance helvétique au XIVième siècle.
Guillaume Tell ayant refusé de saluer le chapeau de Gessler, un agent des Habsbourg, celui-ci le fit arrêter et, le sachant très habile à l'arbalète, le condamna à traverser d'une flèche une pomme placée sur la tête de son jeune fils, épreuve dont Guillaume s'acquitta avec succès. Plus tard, Guillaume Tell tua Gessler.



Guillaume Tell, l'imposteur fédéral

par Raymond Eyraud
Chargé de Cours en Lettres Modernes à l'Université de Toulon

Dans un article paru dans Le Monde, le 13 Août 1999, intitulé Voyages aux pays des mythes, Guillaume Tell est appelé "l'imposteur fédéral". Il faut être très prudent lorsqu'on s'infiltre dans le paradigme du mot "Mythe", et avant de vous conter l'histoire du "possible" héros fédéraliste de La Suisse et des conséquences de son acte rebelle, je voudrais revenir sur la perception du terme mythe par l'homme du XXIème siècle qui a souvent tendance à l'employer très librement. L'esprit cosmologique qui est fondamental au mythe et qui rehaussait et codifiait les croyances n'est plus de nos jours ressenti à sa juste valeur et s'est vulgarisé.
Nos contemporains en général sont plus sensibles à la recherche d'une vérité, sinon visuelle du moins très réaliste et confirmée par "les hommes de l'art", historiens et scientifiques ou bien alors se confortent dans le récit de la légende et du conte. C'est leur côté primitif malheureusement trop longtemps refoulé. C'est pourquoi pour relater des faits qui remontent à une époque plus orale qu'écrite, 1307, "le haut Moyen Age", je parlerais plus volontiers concernant les exploits du héros Suisse et d'autres faits du même genre, de contes et de légendes, issues de source populaire et probablement imbus d'une certaine véracité. Car paradoxalement, en remontant presque sept siècles en arrière, le conte ou la légende concernant l'acte sublime de Guillaume Tell s'est finalement sacralisé et a dépassé le Mythe en se posant comme le véritable emblème de l'âme de ce pays.
Pour mieux réaliser les événements du début du quatorzième siècle, qui sont et restent plus que jamais avec le serment des trois suisses à Grutli, la véritable naissance de la confédération suisse, il nous faut d'abord remonter les siècles et connaître les sources et origines des populations qui occupaient ces territoires au relief tourmenté, et découvrir ainsi le caractère et les sentiments de ce pays d'hommes fiers, le pays de Guillaume Tell. L'origine de la population est celtique et fut toujours en conflit avec les barbares venus du nord : les Germains. Jules César estimait que les Helvètes dépassaient en valeur guerrière tous les autres gaulois car ils étaient entraînés au combat, à cause de leur état de guerre permanent avec les Germains, et aguerris à l'effort et à la souffrance par des années de lutte contre cet envahisseur permanent. Ce peuple indépendant et insoumis, épris "d'espace national", vivait à ses origines entre le Jura à l'est, le Rhin au nord, les massifs alpins et le lac Léman au sud. Hommes robustes, sûrs d'eux mêmes ils devaient probablement étouffer dans ces territoires restreints et décidèrent de se diriger vers La Gaule pour conquérir des territoires nouveaux. Denis de Rougemont dans son livre La Suisse ou l'histoire d'un peuple heureux. a écrit ces quelques lignes qui montrent bien la force morale et physique d'un peuple sûr de lui au moment où il décide de conquérir un nouveau monde :

"Quand ils se croient prêts pour cette entreprise, ils mettent le feu à leur quelque douze villes et quatre cents villages, et aux maisons isolées ; tout le blé qu'ils ne devaient pas emporter, ils le livrent aux flammes : ainsi, en s'interdisant tout espoir de retour, ils seraient mieux préparés à braver les hasards à venir ; et ils ordonnent que chacun emporte de la farine pour trois mois..."

Les légions de César en mal de "Pax Romana" les attendaient malheureusement à Bibracte, où se trouve actuellement la ville d'Autun, les vainquirent et les repoussèrent dans leurs régions d'origines où ils en furent réduits à reconstruire leurs cités détruites par leur propres mains. Les années qui suivirent ce désastre militaire les rapprochèrent de leurs vainqueurs qui n'hésitèrent pas à s'établir aussi dans ce pays de montagnes au moment de leur retraite de mercenaires... Les siècles passèrent, jusqu'à l'abus de pouvoir de l'état voisin qui se voulait protecteur, l'Autriche et sa branche des Habsbourg, qui vit naître l'histoire du héros exemplaire dont tous les Suisses aiment à se référer.
L'histoire de Guillaume Tell est communément admise par les suisses, (les principaux concernés) comme le déclenchement actif de l'insoumission à la domination autrichienne, c'est à dire des Habsbourg dont le roi était Rodolphe de Habsbourg. On pourrait opposer comme exemple à l'incrédulité de certain un fait de l'histoire de France un siècle et demi plus tard, l'intervention dite alors miraculeuse d'une petite bergère d'Arc, qui par son aura "divine" sera l'instigatrice de la résurrection d'une France moribonde, sous le règne d'un roi falot dit de "Bourges". Ces périodes anciennes sont truffées d'actes de bravoure comme il y en a tant chez les "petites gens" dans ces temps douloureux, et qui se transmettaient oralement le soir à la veillée dans les fermes isolées dans un monde à majorité paysan, qui perdurera jusqu'à la fin du XIXème siècle en Europe.
Ainsi dans le village d'Uri en cette année 1307, le jour de la saint Jacques, le 25 juillet, un bailli nommé Gessler, en mal d'autorité et probablement de reconnaissance, pour que chacun s'incline devant l'autorité autrichienne : la suzeraineté des Habsbourg, aurait posé au centre du village, sous un chapiteau surélevé, un chapeau emplumé, posé sur une perche. Tout passant devait saluer cet emblème sous peine d'être emprisonné. "Excellent exemple de dictature de l'esprit qui devrait rappeler à certains les moments noirs d'une histoire récente..." Un passant avec son jeune fils, distrait sans doute, oublie ou refuse d'accomplir ce geste de soumission. Dénoncé par "une bonne âme collaboratrice", il est convoqué devant le bailli qui l'interroge de façon cynique, et le condamne, (Guillaume Tell avait la réputation d'être un arbalétrier d'une précision exceptionnelle) à fendre avec son arbalète une pomme posée sur la tête de son propre fils à une distance de cent mètres ! Tell n'a pas d'autres choix que d'effectuer la sentence sous peine d'emprisonnement pour lui et sa famille. Il réussit l'épreuve qui lui est infligée, et on dit qu'après son exploit "cruel et diabolique", Tell avait gardé cachée dans ses vêtements une deuxième flèche pour le bailli si son fils avait été tué...flèche qui cette fois n'aurait pas manqué son but, en l'occurrence le précurseur de cette tragédie. Celui ci, et c'est là où peut être l'histoire se transforme en légende, se rendant compte du degré de haine engendrée par Guillaume Tell, le condamne une fois encore à la prison à vie dans un château situé au pays de Schwyz, à Kussnacht, qui lui appartenait. Il fallait pour cela traverser le lac des quatre cantons, mais une tempête se leva menaçant de faire couler l'embarcation où se trouvaient le bailli et ses soldats escortant Guillaume Tell enchaîné. Devant le danger imminent, on détacha l'archer réputé habile à manoeuvrer dans ce genre de situation, en le priant de les faire aborder. Tell malin se rapprocha du rivage, prit pied habilement sur un rocher et d'un coup de pied rejeta la barque et ses occupants dans la tempête, s'éloignant définitivement de son futur lieu de détention qui aurait du être son tombeau.
On peut déjà à travers cette épreuve insoutenable infligée à un père, juger du degré de cruauté de l'occupant autrichien face à un peuple qui existait et était rentré dans l'histoire, avec la conquête romaine entreprise par Jules César. Population "d'ordre", les Helvètes acceptèrent assez bien de rester dans les territoires où César les avait cantonnés après Bibracte, les libérant pour un temps de la crainte des invasions venues du nord. Mais leur fierté naturelle d'hommes et femmes, habitués à la rudesse de la vie dans une nature difficile d'accès les soutenait dans l'espoir de fonder un jour un peuple libre. Cependant, paradoxalement, la révolte, l'indignation de Guillaume Tell devant ce que l'autorité lui imposait n'est pas toujours intégrée dans ce que les puristes appellent "La vérité historique" et ce que l'Histoire appelle un peu légèrement "la révolte des pâtres libertaires contre le despote autrichien".
D'autres excès avaient déjà eu lieu sur le sol Suisse et avaient concerné des personnalités d'autres cantons : Werner Stauffager du canton de Schwyz (on avance que ce mot est à l'origine du mot Suisse) s'était vu reprocher à la même époque par le même bailli Gessler "l'importance" de sa maison en pierres qu'il s'était fait construire et qui ressemblait disent d'autres textes, plus à un petit château fort qu'à une maison d'habitation... ce qui laisse supposer déjà le côté frondeur du propriétaire.
Il y eut encore l'épisode dit de Arnold An der Halden du canton d'Underwald qui, parce qu'il possédait une paire de boeufs pour les labours et ne voulait pas les offrir au bailli de Landerberg, fut persécuté et eut les yeux crevés. On voit que la tension gagnait peu à peu les différents cantons et que le gouvernement des Habsbourg devenait de plus en plus répressif et barbare face à son impopularité. L'intolérance des baillis désignés par les autrichiens et leur cynisme amenèrent les dirigeants de chaque canton à programmer la révolte qui devait les conduire à leur indépendance. Cette rébellion fut scellée par un serment qui s'appela "Le serment des trois suisses" peu après l'exploit de Guillaume Tell. Ce serment unificateur se déroula dans une prairie abritée du nom de Grutli sur les rives devenues depuis légendaires du lac des quatre cantons. Les rapporteurs de cet acte légendaire disent que chaque instigateur de cette révolte légitime amenait dix hommes et que ces trente trois hommes ainsi réunis, dont faisait probablement parti Guillaume Tell jurèrent de délivrer définitivement leur pays de l'occupation autrichienne.
Ce serment auquel Guillaume Tell a dû participer de part sa notoriété du moment, est le noeud fondateur de la naissance de la confédération et il se déroula disent les dernières découvertes historiques le premier Août 1307 et non le premier août 1291, comme on le croyait d'abord. La mise au jour du pacte des trois cantons corrigeant cette date fut faite en 1758. Le premier août devint ainsi le jour de la fête nationale de l'état Suisse et la prairie de Grutli le lieu sacré de la prise de conscience nationale.
C'est dans ce contexte d'instabilité que les "aventures de Guillaume Tell", malgré les différentes supputations historiques sont le ciment de la nation Suisse. Denis de Rougemont dans son ouvrage précité dit de lui : "Guillaume Tell est plus vrai qu'un drapeau, qui n'est qu'un signe, car il est le symbole d'un peuple"
De même Victor Hugo, à son sujet, avançait l'idée que : Guillaume Tell n'a pas "...fait les hommes de ce pays, mais que ce sont les Suisses qui l'ont fait". Il est, conclut Denis De Rougemont dans son étude "...moins leur père que leur fils, moins leur ancêtre que leur oeuvre collective, mais c'est par là qu'il est le plus réel."
Plusieurs théories ont été évoquées sur les causes et raisons des exploits héroïques de Guillaume Tell, car ne l'oublions pas, l'information et le conte dépendaient de la parole et non de l'écrit dans ces hauts temps immémoriaux, mais aussi du phénomène structural atypique de ce pays où la parole et la légende étaient surtout du domaine du colportage inter vallées. Il est presque certain que d'autres faits de ce genre, oubliés, eurent lieu dans les siècles précédant la domination habsbourgeoise. Mais l'acte rebelle et courageusement fou de Guillaume Tell est advenu à un moment précis où l'exaspération des Suisses contre une autorité étrangère était extrême. En cette fin du treizième siècle il fallait un héros national, allégorie du courage, de la résistance fière et sans concession des hommes de la montagne et des vallées : il était né.
Au temps de l'empire romain les esclaves eurent Spartacus comme légende de la révolte des opprimés, la France au bord de l'anéantissement eut Jeanne d'Arc pendant la guerre de cent ans, et les siècles qui suivirent eurent leurs hommes glorieux et exemplaires, têtes de proue d'un renouveau qui "couvait" comme le feu d'un volcan au bord de l'éruption. La Suisse cachait un Guillaume Tell devenu pour toujours le parangon du courage pour des générations du monde entier, mais aussi un exemple d'adresse et de précision grâce à "la pomme pourfendue" sur la tête de son propre fils.
Jorge Luis Borges quand il parlait des hommes de sa terre d'adoption avait ces mots prophétiques qui les magnifient :
"Il s'agit d'hommes aux origines différentes, qui professent des religions différentes et qui parlent des langues différentes. Ils ont pris l'étrange résolution d'être raisonnables. Ils ont décidé d'oublier leurs différences et d'accroître leurs affinités. Ils furent soldats de la Confédération, puis mercenaires, parce qu'ils étaient pauvres, avaient l'habitude de la guerre et n'ignoraient pas que toutes les entreprises de l'homme sont également vaines..."



1. DENIS DE ROUGEMONT, La Suisse ou l'histoire d'un peuple heureux. Edition Hachette, 1965, p. 17.
2. Ibid, p. 302.
3. Ibid, p. 303.
4. JORGE LUIS BORGES, Los conjurados.



URL d'origine : www.lestempsmedievaux.com (fermé)



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